Un état des lieux post-2022
En partant des 1 214 scieries recensées en 2022, l’(Observatoire du métier de la scierie) a lancé au printemps 2024 une enquête nationale auprès des scieurs et de leurs partenaires (propriétaires forestiers, exploitants, fournisseurs, etc.). Cette première phase d’étude dresse un état du contexte actuel de la première transformation du bois, en s’appuyant sur les représentations des professionnels.
Une image à reconstruire
Les répondants s’accordent à reconnaître que la scierie française joue un rôle central dans la filière bois, notamment par sa contribution à l’emploi en milieu rural. Pourtant, cette fonction est mal perçue ou ignorée du grand public. La profession souffre d’un manque de visibilité, d’une image vieillissante et d’un individualisme généralisé parmi ses acteurs. En 2022, les scieries françaises ont produit 8,6 Mm³, mais ce chiffre baisse chaque année, à raison d’environ 1,5 Mm³ depuis 2008. Près de 58 scieries ferment chaque année. La scierie de résineux reste dominée par ses concurrents allemands, autrichiens et scandinaves. Le manque d’intégration dans la transformation secondaire, le retard industriel (séchage, rabotage, standardisation, collage), et une approche commerciale tournée vers le négoce de grumes au détriment de la valorisation technique, freinent le développement du secteur.
Les causes du décrochage productif
Le recul du nombre de scieries — près de 2 500 disparitions en trente ans — ne suffit pas à expliquer le décrochage. Les répondants pointent également un repli stratégique autour du sciage vert, des coûts de transformation élevés, la concurrence du béton, et l’absence de vision commune. Les constructeurs bois, menuisiers, charpentiers ou parqueteurs s’orientent vers des produits semi-finis, souvent importés. Même le secteur de la palette évolue vers des solutions reconditionnées. Si le modèle de la tonnellerie fonctionne pour le chêne, il reste l’exception.
Les freins structurels au développement
L’étude met en avant quatre grands types de blocages : le marché de la construction, la nature de la ressource, les politiques économiques, et les moyens techniques. Du côté amont, l’approvisionnement reste globalement stable, malgré une pression sur certaines essences. La tempête Martin (1999) puis Klaus (2009) ont lourdement impacté le massif landais, posant la question de la résilience. Si la France dispose d’une grande diversité forestière (136 essences contre seulement quatre dans les pays nordiques), cette richesse est sous-exploitée. Le morcellement forestier, le manque de sylviculture professionnelle et les pratiques d’exploitation hétérogènes affaiblissent la mobilisation des bois. La perception négative des coupes rases, les crises climatiques à répétition et l’export des grumes, notamment de chêne, aggravent la tension sur la ressource. L’étiquette UE n’apporte pas de garantie suffisante pour retenir la matière en France.
Un secteur transformation en tension
Du côté des unités de production, les scieries françaises sont réactives et flexibles, mais souvent de petite taille, donc vulnérables. Elles restent fortement familiales, investies et ancrées localement, mais souffrent d’un sous-investissement chronique, en particulier dans le feuillu. Le manque de coopération et l’esprit individualiste freinent le progrès collectif. Peu de recherche & développement, une stratégie souvent limitée à l’imitation des modèles étrangers, et une faible présence dans les organisations professionnelles fragilisent leur place. Malgré les normes, taxes, prix de l’énergie et autres charges, les scieries continuent d’investir. La main-d’œuvre est compétente, passionnée et technique. On note également l’arrivée progressive de nouvelles générations et de femmes dirigeantes, mais les reprises restent rares, freinées par des problématiques d’obsolescence, de pollution, ou de visibilité locale.
Un marché à conquérir
Sur le plan commercial, le bois bénéficie d’un contexte favorable, soutenu par les politiques publiques et la RE 2020, qui renforce les exigences de décarbonation. En avril 2024, la nomination d’un délégué interministériel à la forêt et au bois en est une illustration. Toutefois, le secteur manque encore de produits à forte valeur ajoutée, d’un positionnement marketing clair, et d’une approche structurée pour contrer la domination du bois reconstitué (panneaux, ex. IKEA). Les négoces prennent souvent le pas sur les scieurs dans la chaîne de valeur. L’enjeu est d’assurer un meilleur accompagnement des petites scieries dans les démarches qualité, marques et certifications. Le développement du CLT pour murs et planchers confirme une tendance structurelle à la montée en gamme, dans un marché mondialisé où seuls les producteurs de taille internationale pourront peser.
Vers un redémarrage ?
Face à ces constats, plusieurs pistes à court, moyen et long termes sont évoquées par les répondants pour relancer le dynamisme du secteur. Ces propositions sont en cours de consolidation dans la suite de l’enquête conduite par l’Observatoire du métier de la scierie.